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  • Photo du rédacteurFrancis Causse

La rupture avec Pierre Cot

Jean Moulin, qui fut très proche du ministre de l'Air du Front populaire, se sépare nettement de lui en octobre 1941 et choisit de Gaulle


Jean Moulin a été très engagé dans l'aide clandestine aux républicains espagnols. Il a organisé des envois d'armes. Pour lui, comme pour ses amis, la guerre contre les fascistes et les nazis a commencé en juillet 1936. Dans ce combat, Moulin a pris des habitudes de secret et noué des liens très forts, affectifs et idéologiques, avec quelques compagnons, parmi lesquels son patron, le ministre de l'Air Pierre Cot, Henri Manhès, un ancien grand éditeur qui redevient militaire à 50 ans, et Louis Dolivet, brillant kominternien d'origine roumaine qui avait monté une extraordinaire machine de propagande antifasciste, avec des ramifications sur toute la planète: le Rassemblement universel pour la paix (RUP). Pierre Cot est le premier homme politique à rejoindre Londres, en juin 1940, mais le général de Gaulle refuse ses offres de services, car il a peur d'effrayer ses aviateurs. Blessé par ce refus, Cot émigre aux Etats-Unis et commence immédiatement à nouer des contacts pour reprendre le combat antifasciste. 

Pendant ce temps-là, Jean Moulin essaie, comme préfet de Chartres, de soulager la population, écrasée sous la botte allemande. Le 17 juin 1940, il refuse de signer un papier qui lui est présenté par les Allemands et qui entérinerait la responsabilité de tirailleurs sénégalais dans des meurtres et viols commis en réalité par des soldats d'outre-Rhin. Il est torturé et, par peur de céder, se tranche la gorge... Evincé de son poste par Vichy à la mi-novembre, il commence immédiatement à contacter tous ses compagnons «espagnols». Pendant les mois qui suivent, il va hésiter entre la voie d'Henri Manhès et celle de Louis Dolivet. Le premier, héros de la guerre de 14-18, et qui a fait le coup de feu en Espagne, privilégie l'action sur le terrain, en France, en liaison avec de Gaulle. Le second, internationaliste, souhaite réactiver tous ses réseaux du RUP et veut entraîner Moulin aux Etats-Unis, où se trouve déjà leur «patron», Pierre Cot... 

Louis Dolivet quitte Marseille le 10 décembre 1940, arrive à Lisbonne le 22 et reste une semaine au Portugal, où, avant de rejoindre les Etats-Unis, il contacte le représentant du général de Gaulle et ceux de Sa Majesté britannique. Dolivet se présente comme un leader disposant déjà de nombreux réseaux de résistance en France. Il impressionne ses interlocuteurs, écrit au général de Gaulle pour offrir ses services et reprend le bateau pour les Etats-Unis avant d'avoir reçu des nouvelles de Londres. Cet extraordinaire agitateur, grand séducteur, doté d'un impressionnant carnet d'adresses, retrouve Pierre Cot et de nombreux libéraux américains connus dans les années précédentes. Quelques jours après son arrivée à New York, il séduit et épouse Beatrice Straight, entrant ainsi dans une famille qui contrôle, notamment, la Pan Am, British Airways et le journal libéral The New Republic! Louis Dolivet reconstruit - avec Cot - une association qui est la copie conforme du RUP, mais surtout il impressionne le représentant des services secrets britanniques à New York, qui le recommande chaleureusement à Hugh Dalton, patron du SOE, qui veut «mettre le feu à l'Europe» par des méthodes subversives. Pendant quelques semaines, Dalton est enthousiaste et croit avoir trouvé the right man pour diriger la subversion en France. Mais l'Intelligence Service veille et ressort ses fiches montrant son ancienne appartenance au Komintern. La carrière de Dolivet au SOE est brisée net. 

Mais il en faut plus pour briser l'élan de cet homme talentueux. Il se démène en vue de faire parvenir papiers et argent à Jean Moulin afin qu'il le rejoigne aux Etats-Unis. Moulin n'arrive pas à obtenir ses visas pour quitter l'Hexagone. Dolivet et Cot envoient en France - avec l'aval américain et britannique - le pasteur Brooks pour qu'il fasse un recensement des mouvements de résistance en vue de pouvoir ensuite leur envoyer armes et argent. Le pasteur organise même la fameuse rencontre entre Henri Frenay et Jean Moulin, qui va être déterminante dans le destin de ce dernier. Pierre Cot continue de veiller sur Jean Moulin... Celui-ci arrive à Lisbonne le 18 septembre 1941 et rencontre le chef du desk du SOE trois jours plus tard. Tout de suite, il annonce qu'il veut se rendre à Londres et non aux Etats-Unis, malgré son visa américain. Le préfet du Front populaire, l'ami du kominternien Dolivet, l'ami de l'agent soviétique André Labarthe et du détesté «galopin sanglant» Pierre Cot, accusé depuis des années d'être un agent soviétique, révèle d'un seul coup toute son habileté politique et sa compréhension de la situation qui règne à Londres. Il sait, ou a compris, que Dolivet et Cot sont «tricards» tant auprès des autorités britanniques que de l' «entourage cagoulard» de De Gaulle et que la seule façon de s'imposer est d'arriver à Londres sans lien aucun avec Dolivet, comme s'il était mandaté par les principales organisations de résistance en France - ce qui est loin d'être exact - et en montrant que, même s'il a travaillé avec Pierre Cot, il est avant tout un haut fonctionnaire. 

Moulin n'hésite pas à mentir aux Anglais Cette rupture avec Dolivet, et donc avec Cot, a laissé des traces dans les archives du SOE. Informé de l'arrivée à Lisbonne de son ami, Dolivet a fait télégraphier à Londres d'acheminer à «Mercier» (Jean Moulin) sa demande le priant de venir immédiatement à New York. Londres a transmis favorablement, le 23 septembre, la demande de Dolivet: «Demandez, s'il vous plaît, à Mercier qu'il nous donne sa date de départ, son mode de transport et sa date probable d'arrivée à New York.» Mais Moulin explique au représentant du SOE qu'il ne souhaite pas rejoindre Dolivet aux Etats-Unis à cause de la mission dont il est chargé pour le compte des organisations de résistance. Pour bien montrer qu'il n'a plus rien à voir avec Dolivet, Moulin n'hésite pas à mentir aux Anglais: il tient beaucoup à faire savoir qu'il n'a pas revu Dolivet depuis deux ans et ne comprend pas pourquoi celui-ci lui demande de venir le voir outre-Atlantique! Alors qu'ils se sont quittés seulement neuf mois plus tôt et qu'ils n'ont cessé depuis lors d'être en contact... Se séparer de Dolivet, c'est se séparer de son ami, de son mentor, de son maître à penser Pierre Cot et de toute une équipe soudée idéologiquement. Il officialise cette rupture à Lisbonne, le 19 octobre, en écrivant une lettre à Pierre Cot juste avant de prendre l'avion pour Londres. «A chacun sa destinée», écrit-il. Ce moment scelle définitivement le destin de ce chef autoproclamé de la Résistance intérieure qui rejoint le chef autoproclamé de la France libre. 


https://www.lexpress.fr/informations/la-rupture-avec-pierre-cot_631271.html#ACgeRZYdFIETsxRu.01

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